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[L’]œuvre, ce n'est pas tout ce qu'un romancier a écrit, lettres, carnets, journaux, articles. L'œuvre, c'est l'abouissement d'un long travail sur un projet esthétique. J'irai encore plus loin : l'œuvre est ce que le romancier approuvera à l'heure du bilan. Car la vie est courte, la lecture est longue et la littérature est en train de se suicider par une prolifération insensée. . . . Mais il n'y a pas seulement les auteurs, les centaines, les milliers d'auteurs, il y a les chercheurs, les armées de chercheurs qui, guidés par une morale opposée, accumulent tout ce qu'ils peuvent trouver pour embrasser le Tout, but suprême. Le Tout, à savoir aussi une montagne de brouillons, de paragraphes rayés, de chapitres rejetés par l'auteur mais publiés par les chercheurs dans des éditions dites « critiques», sous le nom perfide de «variantes», ce qui veut dire, si les mots ont encore un sens, que tout ce que l'auteur a écrit se vaudrait, serait pareillement approuvé par lui. La morale de l'essentiel a cédé la place à la morale de Parchive. (L'idéal de l'archive : la douce égalité qui règne dans une immense fosse commune.)

Milan Kundera

Le Rideau



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